Mise en scène

Note sur la mise en scène, Laurent Festas

K. et la piste du château, spectacle musical inspiré du Château de Franz Kafka

Laurent Festas, mise en scène
Karol Beffa, composition originale

3 chanteurs solistes, 5 musiciens, 6 danseurs, 7 comédiens, un chœur de chanteurs et figurants
Durée du spectacle 1h10

Peu d’œuvres romanesques ont autant marqué et aussi bien traduit l’évolution de l’imaginaire occidental que le Château de Franz Kafka (1922). L’idée de transcendance a en effet sombré au XXème siècle. Sur la fin de sa vie, se sachant atteint d’une tuberculose incurable, Kafka décide de faire un dernier bilan de son parcours fulgurant et torturé, et part à la rencontre de ses proches, de ses contemporains et de lui-même. Tout au long de son récit, Kafka se réinvente dans une fiction qui le place au cœur d’une quête insoluble dans une communauté villageoise dont il remet en cause les illusions et codes individuels et sociaux. S’il n’en finit plus avec la piste du Château, son roman inachevé laisse finalement l’arpenteur K. seul dans les paysages enneigés, froids mais lumineux, des Carpates, étranger aux siens, face au vertige d’une fin de vie qui s’approche et anéantit tout sur son passage, malgré quelques réminiscences liées à l’amour, à l’art littéraire, aux croyances qui reviennent à l’assaut.

Le propos défendu ici est d’abord celui de la Rencontre, celle qui naît de la confrontation des visions et des perceptions qui sont au cœur de l’œuvre de Kafka, celle des formes d’expression et des cultures européennes aussi. Au-delà, c’est l’interrogation sur un cheminement, celui de l’artiste ou des artistes de la métaphore, du spectacle vivant, de ceux qui inventent et se débattent pour trouver une voie dans un environnement parfois hostile, indifférent ou loin de ses préoccupations, et d’autant plus lorsque l’on s’écarte des lieux et des réseaux habituels de la création et de la diffusion artistique. Mais dès lors que le Château vous fait signe, que faire ?

« Voici donc Monsieur notre Arpenteur. (…) Asseyez-vous, asseyez-vous, Monsieur l’Arpenteur et dites-mois vos désirs ? (…) Il faut bien que je vous dise la vérité, la désagréable vérité, vous êtes engagé comme arpenteur mais malheureusement nous n’avons pas besoin d’arpenteur. Les limites de mes petits domaines sont toutes tracées (…) je ne puis vous expliquer comment la méprise a pu se produire (…) une administration aussi vaste, il peut arriver par hasard qu’un bureau décide ceci, l’autre cela. (…) Il ne s’agit évidemment que de bagatelles comme votre cas. Pour les grandes choses, je n’ai jamais eu connaissance d’une seule erreur. (…) Votre cas est un des plus petits cas parmi les plus petits. (…) Cette lettre n’est pas un écrit officiel mais un document d’ordre privé, c’est-à-dire que la charge de faire la preuvre vous incombe. (…) Qui oserait vous expulser, Monsieur l’Arpenteur, la complication même des questions préliminaires vous garantit le traitement des plus courtois, seulement vous êtes trop susceptible. Personne ne vous retient mais on ne vous chasse pas. (…) Frieda ? Mais Frieda vous suivrait partout. Pour le reste évidemment il faudra encore réfléchir un peu et j’en parlerai au Château ». Le Maire – Extraits du Château. Ed. Gallimard/Collection Folio (1972). Traduction Alexandre Vialatte (1938).

Pour traiter de cette œuvre qui correspond si bien à l’univers de Karol Beffa, à nos problématiques contemporaines, les moyens sont aussi divers que ceux qu’offrent la voix, la musique et l’opéra mais également la danse contemporaine, le théâtre de mouvement et les arts visuels. Notre volonté est de restituer cette ambiance, douce et douloureuse mais tout autant clownesque et absurde, ce cheminement que nous devons tous faire avec nos proches, nos communautés, nos aspirations et bien sûr avec l’être aimé afin de construire une perspective. Il s’agit donc avant tout de donner corps à un roman et cela dans des lieux-témoins de nos réalités, monuments ou places, ces lieux de mémoires, dont l’évolution historique, fonctionnelle et spirituelle, résonne si fort avec l’œuvre de Kafka et avec les transformations de notre époque. Ce sont ces cadres qui peuvent aujourd’hui encore charger nos consciences, mettre à nue nos impostures ou nos impasses. Le défi est bien de faire apparaître, en reprenant au plus près les passages parfaitement décrits dans le roman, les contours de notre histoire commune.